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10/01/2008

Benoît Sibaud (April) : "Le pôle CapDigital est en train de monter une commission sur les communautés, le Web et le logiciel libre"

Retour sur les combats de l'association de promotion et de défense du logiciel libre. Son président analyse la croissance du Libre et de l'Open Source, et développe sa vision critique des politiques publiques.
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Benoît Sibaud (April)
 
 
 

 

Quels sont les rôles de l’April ? Contribuez-vous à des projets de logiciels libres ?

L'April est une association loi 1901 créée en 1996 qui a pour buts la promotion et la défense du logiciel libre. Elle comporte actuellement 1800 membres (personnes physiques ou morales - associations, entreprises, collectivités) et dispose d'une équipe de trois permanents.

L'April informe et sensibilise à destination de tous les publics (institutionnels, entreprises, associations, particuliers, etc.). Parmi les activités récentes les plus visibles on peut citer les actions autour de loi DADVSI sur le droit d'auteur, la campagne Candidats.fr pendant les élections 2007 et de manière générale les actions contre les brevets logiciels, les dispositifs de contrôle de l'usage (DRM), la vente liée, etc.

En dehors de la présidence de l'April, je suis un des webmestres du site francophone LinuxFr.org sur l'actualité autour du logiciel libre, et je participe à l'organisation des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre (cette année à Mont de Marsan en juillet).

Bonjour, quelle est la différence entre Open Source et logiciel libre ?

Le logiciel libre se définit par les quatre libertés (utilisation, accès à la recette du logiciel et modification, distribution, redistribution des versions modifiées). Cette définition provient de la Free Software Foundation et correspond à une formalisation dans les années 80 de pratiques existantes depuis le début de l'informatique (à savoir les échanges et l'entraide entre informaticiens). Cela correspond aux termes anglais Free Software ou Libre Software.

L'"Open Source" (au sens de l'Open Source Initiative) a été défini via l'"Open Source Definition" en 10 points. La quasi totalité des licences de logiciels libres sont des licences "Open Source" et réciproquement. La différence réside dans le fait que la FSF met en avant la liberté et la philosophie du logiciel libre, alors que l'OSI s'intéresse aux aspects techniques et pratiques. L'April est proche de la FSF, et nous parlons donc de logiciel libre.

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"Il semblerait que peu à peu Microsoft accepte la présence du logiciel libre"

A noter que le terme "Open Source" est trop souvent utilisé/dévoyé littéralement (logiciel à code source ouvert) pour désigner des logiciels qui ne sont ni libres ni "Open Source" au sens de l'OSI. Pour finir on trouve régulièrement les termes FOSS (Free and Open Source Software) voire FLOSS (Free, Libre and Open Source Software, terme notamment utilisé par la Commission européenne).

Que pensez vous de la position de Microsoft sur l'Open source et le logiciel libre ?

A supposer que Microsoft n'ait qu'une position et n'en change pas, ce qui n'est pas évident à la vue des dernières années où on a assisté à diverses périodes de dénigrement de leur part, il convient de constater en tout cas que Microsoft ne parle que d'"Open Source" justement, et pas de logiciel libre. Microsoft est passé du deni au dénigrement, et il semblerait que peu à peu ils doivent accepter la présence du logiciel libre, devenu très présent dans le monde numérique, et qui est effectivement leur principal concurrent, selon leurs propres termes.

Ceci étant les expériences précédentes et leur lobbying constant sur divers sujets (volonté de blocage du référentiel général d'interopérabilité en France, lobbying sur le format de bureautique OOXML, attaques non argumentées via les brevets logiciels, procès pour abus de position dominante en Europe, etc.) tendent à me rendre prudent sur un réel changement de la part de cette société omniprésente.

Plus largement tous les grands acteurs se tournent vers l’Open Source. IBM, Sun… Mettez-vous tous ces acteurs dans le même panier, ou certains sortent-ils du lot ?

Il y a déjà une première chose à savoir sur les grands acteurs, c'est qu'il ne s'agit pas d'entités homogènes. On peut y trouver une direction juridique qui a un positionnement différent de la direction grand public qui pense autrement que la direction entreprises qui elle-même se place différemment sur l'embarqué et le mobile, etc. Ainsi un gros acteur va vendre du service, du logiciel, du matériel, pour divers systèmes d'exploitations, et ses directions auront des avis différents sur la brevetabilité des logiciels, la vente liée, l'importance d'avoir des pilotes libres pour leurs périphériques, etc.

IBM injecte beaucoup d'argent dans le logiciel libre (et en récupère beaucoup aussi bien entendu) mais est un soutien des brevets logiciels par exemple. Sun, adhérent April, diffuse une très large part de ses logiciels sous des licences libres et même les spécifications techniques d'une partie de son matériel (processeurs OpenSparc par exemple) mais avait aussi annoncé à une époque un projet de DRM qui n'a pas vraiment abouti apparemment.

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"Il me paraît intéressant qu'une commission thématique sur le logiciel libre soit présente dans plusieurs pôles"

Que pensez-vous de l’échec du projet de pôle de compétitivité Open Source ?

Je ne crois pas que l'on puisse qualifier le projet d'échec. L'idée d'avoir un pôle de compétitivité dédié au logiciel libre est séduisante, mais il faut bien voir que les pôles sont régionalisés, ce qui ne correspond pas au développement mondialisé du logiciel libre. Toutes les entreprises françaises qui développent ou assurent du service autour du logiciel libre ne sont pas en Ile-de-France. Il me paraît donc intéressant d'avoir une commission thématique dans plusieurs pôles (comme la commision Ouverture dans le cadre du pôle System@tics).

Quelle est votre position sur le groupe thématique Open Source lancé par System@tic ?

Le projet de pôle de compétitivité dédié au logiciel libre a donc été converti par le pouvoir politique en une commission thématique adossée à un pôle existant (System@tic). D'autres pôles ne tarderont pas à mon avis à se doter d'une commission thématique logiciel libre (le pôle francilien CapDigital est par exemple en train de mettre en place une commission traitant des communautés, du Web et du logiciel libre).

J'étais d'ailleurs présent à la plénière de lancement d'Ouverture (le groupe thématique côté System@tic) et les différents projets présentés permettent de faire avancer le logiciel libre, ce qui est une bonne chose (même si la technique n'est pas tout bien évidemment).

Que pensez-vous des dernières évolutions de la GPL ? Vont-elles dans le bon sens ?

Les licences doivent prendre en compte les évolutions de la technique (nouvelles problématiques comme la "tivoisation" par exemple - du nom d'un magnétoscope numérique qui utilise du logiciel libre mais en empêchant toute utilisation d'une version modifiée) ou du juridique (brevets logiciels, autres licences de logiciel, etc.). Il est donc naturel de faire évoluer la licence phare du logiciel libre (quasiment les trois quarts des logiciels libres utilisent la licence GNU General Public License ou ses dérivées Lesser GPL ou Affero GPL).

Les évolutions sur la GPLv3 visent à préserver le logiciel libre de nouvelles menaces et à améliorer sa compatibilité avec d'autres licences, c'est évidemment une bonne chose. Autre point notable, c'est une première d'avoir une si large consultation ouverte pour rédiger collaborativement une licence de logiciel, et ça pourrait bien faire école.

Je ne comprends pas le concept de logiciel libre. Je connais beaucoup de développeurs qui reprennent des morceaux de code libres et les modifient, sans pour autant les redistribuer… Sont-ils hors la loi ?

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"Le logiciel libre n'est ni de droite ni de gauche ni du centre"

Les logiciels libres offrent les 4 libertés comme dit précédemment. Chacun est donc libre d'utiliser et modifier comme il l'entend pour son utilisation propre. Maintenant s'ils rediffusent à l'extérieur des logiciels libres, ils doivent respecter les licences qui les encadrent.

Dans le cadre de la licence GPL par exemple, et uniquement lorsqu'il y a distribution donc (j'insiste sur ce point), l'oeuvre dérivée est donc elle-même sous GPL et le code source modifié doit être fourni. Comme pour toutes les licences, libres ou propriétaires, le non-respect est considéré comme de la contrefaçon et des poursuites peuvent être engagées. Il y a régulièrement des poursuites lancées par des auteurs de logiciels libres pour faire respecter leurs droits.

La licence GPL est-elle reconnue juridiquement ? Y-t-il déjà eu des procès en faveur cette licence ?

Il y a déjà eu dans de nombreux pays des procès autour de logiciels sous GPL (Etats-Unis, Allemagne, France, etc.), qui permettent de dire que la GPL est reconnue juridiquement. Notons par ailleurs deux autres points importants sur le sujet : d'abord il y a quelques dizaines de litiges autour de la GPL réglés à l'amiable chaque année par la FSF, ce qui tend à valider la licence puisque justement les entreprises impliquées ont préféré se mettre en conformité plutôt qu'aller au procès.

Parfois cela ne suffit pas et les choses peuvent aller en justice. Peut-être bientôt en France avec l'action autour de la Freebox (voir freebox.flouzo.net) ? Ensuite celui qui utilise un logiciel sous GPL et conteste la licence se place de lui-même dans une situation particulièrement compliquée : soit il respecte la licence et peut utiliser le logiciel et de fait reconnaît la validité de la GPL, soit il conteste la licence GPL, auquel cas il n'a aucun droit sur le logiciel et est donc contrefacteur...

Quand on voit les positions du Parti Communiste sur l’Open Source, on pourrait se dire que l’April est proche de cette tendance politique… Non ?

Il suffit de regarder les positions des différents candidats à la présidentielle française 2007 sur candidats.fr : on peut constater que le logiciel libre n'est ni de droite ni de gauche ni du centre. Les avantages du logiciel libre (côté technique, indépendance, éthique, social, etc.) ne sont bien sûr pas perçus identiquement par tous les partis, mais dans tous les partis, on trouve des soutiens au logiciel libre. Pensez aussi à l'examen de la loi DADVSI où des amendements favorables au logiciel libre et à l'interopérabilité ont été votés à l'unanimité.

 
Photo de Marie Bruggeman © Benchmark Group
 
"La réponse du candidat Nicolas Sarkozy au questionnaire Candidats.fr n'était clairement pas la plus favorable au logiciel libre"

L'April veille à avoir une stricte neutralité sur le plan de la politique mandataire. Nous discutons avec tous les partis (toujours sur candidats.fr, il suffit de voir la liste de 68 députés signataires du Pacte du logiciel libre).

Pensez-vous que l’arrivée de la droite au pouvoir freine le mouvement Open Source dans l’administration ?

La réponse du (à l'époque) candidat N. Sarkozy au questionnaire Candidats.fr n'est clairement pas la plus favorable au logiciel libre. Et oui nous avons dénoncé par exemple les résultats de la mission Olivennes et son filtrage programmé de l'internet, le fait que le parapheur du RGI soit toujours égaré, etc.

Ceci étant dit, que constate-t-on en pratique ? Une sorte de grand écart avec parfois des éléments favorables au logiciel libre (migration du poste de travail des députés, déploiement de logiciels libres dans les administrations, etc.) et parfois des éléments défavorables (surtout au niveau législatif, ou l'inaction de la DGCCRF sur la vente liée, en attendant une volonté politique sur le sujet, par exemple). Une politique publique claire favorable au logiciel libre serait bien évidemment un plus.

Merci au JDN pour l'invitation, et merci à tous pour vos questions. Meilleurs voeux au logiciel libre pour 2008. Souhaitons lui une bonne année. L'April sera vigilante sur le sujet ;-)

 


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